Breguet 19 TF Super Bidon
"Point d'Interrogation"
Restauration Statique (exposé au Musée de l'Air et de l'Espace)
Dans les années 1920, le Breguet XIX (Br19) succéda au Breguet 14 comme avion de bombardement et avion de reconnaissance à grand rayon d'action.
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Après quelques années, Breguet entrepris l'adaptation de cet appareil aux raids et records, qui se firent de plus en plus nombreux à cette époque. Le succès apporté par la réussite d'une de ces tentatives, garantissait une publicité importante pour le constructeur de l'appareil. C'est ainsi que naquit la version Br19 GR ("Grand Raid").
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Peu à peu, la capacité en carburant fut augmentée et le dessin de l'avion amélioré pour aboutir à la version Br19 TR "Bidon" en 1927, qui pouvait emporter 3 735L de carburant.
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Enfin, Breguet conçut en 1929 la version spécifique Br19 TF "Super Bidon" pour le raid transatlantique qu'allait réaliser Dieudonné Costes et Maurice Bellonte, pouvant emporter 5 370L de carburant...
Le "Point d'Interrogation", un avion conçu pour l'exploit
Memorial Flight a entrepris de 1997 à 2002 la restauration du Breguet 19 Super Bidon "Point d'Interrogation" pour le compte du Musée de l'Air et de l'Espace.
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Dérivé du type "bidon", lui-même extrapolé du Breguet 19, le "?" fut conçu spécialement pour le raid. Avec lui, Costes, accompagné tantôt par Bellonte, tantôt par Codos, bâtit de nombreux records. Il est surtout connu pour avoir effectué le 2 septembre 1930, le premier vol Paris-New York sans escale d'Est en Ouest suivi d'un tour du monde de l'Amitié parcourant, du 2 septembre au 10 octobre 1930, 26521 km en 162 heures de vol.
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Remis au Musée de l'Air en 1938, il a été partiellement restauré à plusieurs reprises (la dernière datant de 1976). Cet avion tient une place très importante dans le patrimoine aéronautique mondial, à l'égale du "Spirit of Saint Louis" de Charles Lindbergh.
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Deux hypothèses entourent l'origine de son nom :
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un point d'interrogation aurait été apposé par les mécaniciens en 1929 alors que l'usine Breguet qui le préparait gardait secrète sa future destination,
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les nombreuses innovations technologiques rendaient les résultats incertains.
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De plus, il était connu sur les terrains sous le surnom de "Le Rouge".
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Le Point d'Interrogation fait partie d'une petite série de 5 appareils construits spécialement pour les raids à grandes distances, dérivé du Breguet 19. Il a été modifié spécialement pour un seul objectif: la traversée de l'Atlantique.
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Ainsi l'entreplan et l'envergure ont été augmentés par l'ajout d'une "cabane", les monomats ont été remplacés par 2 mats indépendants croisillonnés par des haubans; les postes d'équipage aménagés spécialement bénéficient des instruments les plus modernes notamment un horizon artificiel...
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Le vendredi 13 juillet 1929, c'est le grand jour. Ils décollent à 5 h 20 pour la traversée mais la tentative échoue. De mauvaises conditions météo les obligent à faire demi-tour au-dessus des Açores. Cependant, cet échec fut riche en enseignements.
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La puissance moteur fut augmentée de 50 cv la portant à 650cv.
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Le 27 septembre à 8 h 20, ils décollent cette fois vers l'est pour battre le record du monde de distance. Le 29, ils se posent en Mandchourie après plus de 8 000 km sans escale.
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Le record est battu. Cette victoire ne fait que les motiver d'avantage pour la traversée Paris / New-York qu'ils rêvent toujours d'effectuer...
La première traversée Est-Ouest de l'Atlantique (Paris-New York)
Lundi 1er septembre 1930, le Point d'Interrogation s'envole enfin du Bourget après de longs mois de préparations minutieuses.
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Costes prévoyait un départ à l'aube, la météo annonçant une situation atmosphérique exceptionnelle au-dessus de l'océan. Mais, au-dessus de la région parisienne, la visibilité était très mauvaise. Ils attendirent patiemment jusqu'à 10 heures les résultats favorables des derniers sondages faits par leur ami Codos. Le Point d'Interrogation fut alors sorti de son hangar, amené face au vent sur la ligne de départ et les deux aviateurs montèrent dans l'appareil.
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A 10 h 54 exactement, Costes donne le signal du départ et le Point d'Interrogation s'élève doucement dans un ciel rasséréné et s'éloigne vers Ecouen qu'il survole à 200 mètres de hauteur. Poursuivant sa route en direction de la côte anglaise, le Point d'Interrogation survolait Les Andelys à 11 h 27 à la hauteur de 1 100 mètres. Les deux hommes ne peuvent communiquer entre eux qu'au moyen de messages écrits sur des morceaux de papier.
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A 11 h 48, Bellonte lançait son premier message radio. L'appareil était alors entre le cap d'Antifer et la pointe de Barfleur et volait à la vitesse de 210 km/h. Ayant quitté le sol français au Crôtoy, il survola le canal Saint Georges à 14 h 45 et atteignit à 16 heures l'océan à une hauteur de 400 à 500 mètres par 52° de latitude nord / 12°20 de longitude ouest.
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Entre 19 et 22 heures, l'avion dut, en raison de problèmes météo, se détourner de sa route et faire un crochet vers le nord; puis de 22 heures à 4 h 35 du matin,nouveau crochet, cette fois vers le sud ce qui le ramenait sur une ligne plus directe.
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A 11 h 25, soit 24 heures après son départ, la station de Saint Pierre l'entendait. Vers la fin de l'après midi, il était signalé au large de Boston où il abordait une zone d'orages violents.
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Enfin il atterrissait sur le Curtissfield à 0 h 11 ayant le premier franchi l'Atlantique nord d'est en ouest, contre les vents dominants en 37 heures et à la vitesse moyenne de 167 km/h.
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A peine sortis de l'appareil, ils sont portés en triomphe par la foule jusqu'au hangar où les attendent toutes les personnalités françaises alors présentes à New-York : le navigateur Alain Gerbault, le joueur de tennis Jean Borotra... Tout à coup, Costes et Bellonte remarquent une grande silhouette filiforme qui leur sourit depuis un coin du hangar ; c'est Charles Lindbergh, venu les féliciter en personne. A cet instant, ils comprennent qu'ils sont eux aussi entrés dans la légende.
L'équipage
Dieudonné Costes
Dieudonné Costes est né à Septfonds, Tarn-et-Garonne, le 4 novembre 1892. Dès son enfance, attiré particulièrement par les questions touchant la mécanique, il fut, au cours de ses études, un brillant élève de mathématiques. L'automobile, puis l'aviation le passionnèrent et il se jeta sur cette dernière branche avec enthousiasme. Pilote pendant la guerre, affecté a l'armée d'Orient, il part sur un avion de bombardement et devient un "as", obtenant onze citations, la médaille militaire et la légion d'honneur. Après la guerre, il est pilote de ligne, accomplissant le trajet Paris-Londres et Toulouse-Casablanca. Costes est le premier pilote du monde. Ses principaux exploits sont : Paris-Assouan (4 100 km) d'un seul coup d'aile, en compagnie de De Vitrolle ; Paris-Calcutta, en 1926, avec Rignot et, avec ce même navigateur, Paris-Djask, (5 3o6 km). C'est, la même année, le raid de Paris à Nijni-Tajilsk (5 ooo km) ; il effectue, avec le lieutenant de vaisseau Le Brix, le tour du monde (57 000 km) et la traversée de l'Atlantique sud qu'il fut le premier à effectuer en un seul vol, puis il revient de Tokyo à Parisen moins de quatre jours. Et c'est enfin Paris-New-York en trente-sept heures entre le 1er et le 2 septembre 1930.
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Maurice Bellonte
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Maurice Bellonte est né à Méru (Oise) en 1896. Il a déjà vingt ans de pratique professionnelle. Il a navigué plus de six ans tour à tour comme mécanicien, radiotélégraphiste, navigateur sur les lignes transcontinentales Paris-Londres, Paris-Marseilles, Paris-Bruxelles, totalisant depuis 1922 plus de 3 500 heures de vol. Bellonte a su affronter avec les pilotes dont il partageait les risques, les plus grands dangers. Il sortit cinq fois de son appareil en plein vol pour procéder à des réparations urgentes, risquant bravement sa vie. Il tomba en mer avec le pilote Delesle, le 14 novembre 1925, et réussit à sauver celui-ci, grâce à ses appels de radio alertant les bâtiments croisant dans la mer du nord. Il passe brillamment son brevet de navigateur-mécanicien, puis celui de mécanicien de transport public, son brevet élémentaire de navigateur aérien que l'Aéro-Club de France lui décerne le 20 septembre 1923, et enfin son brevet de pilote qu'il passe dès son retour de son raids Paris-Tsitsikar, au cours duquel il devient recordman du monde de distance avec 7 925 kilomètres.
La restauration
Détails de la restauration
Photoscope
Poste pilote (Dieudonné Costes).
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Contrôle moteur :
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Manomètre de pression d'essence.
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Tachymètre.
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Indicateur de pression et de température d'huile.
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Indicateur de température dans les prises d'air des carburateurs.
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Température de l'eau de refroidissement (contrôlé par l'éclipsage du radiateur).
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Commande de correction altimétrique des carburateurs.
Contrôle de vol et de navigation :
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Un contrôleur de vol classique (vitesse, virage, verticale apparente.
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1 anémomètre de secours à moulinet.
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1 horizon gyroscopique alimenté en courant triphasé par une génératrice fixée sur le plan inférieur gauche.
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1 indicateur de pente longitudinale.
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2 altimètres.
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1 compas Morel Krauss de grande navigation.
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1 compas de secours.
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1 thermomètre de température ambiante.
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Les jeux de cartes intéressant le parcours.
Photoscope
Poste navigateur (Maurice Bellonte).
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Navigation radio :
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Un contrôleur de vol classique (vitesse, virage, verticale apparente).
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1 compas Morel de grande navigation.
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1 navigraphe Le Prieur.
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1 dérivomètre à alidade.
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1 sextant à horizon artificiel.
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1 sextant marin.
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2 chronomètres en temps civil.
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2 chronomètres en temps sidéral.
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Tables de navigation.
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Jeu de cartes orthodromiques au 1/1 000 000.
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Séries de cartes de détail.
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Cartes des situations météorologiques.
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Coupe verticale des vents et nébulosités sur le parcours prévu.
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Cartes de position prévue des navires à la mer.
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Un poste émetteur récepteur A 81 D spécial, alimenté par génératrice escamotable.
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Antenne pendante et son rouet.
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Batterie d'accumulateur pour l'éclairage de nuit des instruments.
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Deux barographes Jules Richard.
Equipements de secours :
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Pompe à main de secours sur les circuits d'essence.
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Canot pneumatique avec fusées, et ballons sonde fournis par l'O.N.M. pour signalisation du canot. Un grand cerf volant destiné au même usage.
Photo de détail
Plaque moteur.
Morceaux d'histoire
Message de Mr Koerner...
Durant les premières opérations de nettoyage, nous avons trouvé une inscription gravée sur la "porte" avant droite.
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C'est un message de bonne chance accompagné de l'adresse d'un certain Mr Koerner de Saint Paul dans le Minnesota (USA). Mais quelle est l'histoire de cet événement ? Mr Koerner a probablement gravé ce message d'encouragement dans la période du 19 au 21 septembre 1930. En effet, après leur exploit, Costes et Bellonte ont entamé un tour de l'Amitié à travers les USA; ils firent escale à Saint Paul les 19,20 et 21 septembre.
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Mais ce n'est qu'une hypothèse, c'est pourquoi nous continuons les recherches pour retrouver un des descendants de Mr Koerner et peut être éclaircir ce fait. D'après un internaute habitant Saint Paul, l'adresse correspond aujourd'hui à une pizzeria! Si vous avez des renseignements qui pourraient nous aider, n'hésitez pas à nous contacter.
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Fin 2000, nous avons reçu d'une internaute américaine de nouveaux éléments :
Un certain Louis Koerner, né en Pennsylvanie, a débuté sa carrière de mécanos avion en 1918 et rejoint Northwest Airways en 1928 sur l'aéroport de Saint Paul. Il y termine sa carrière en 1965 responsable de la maintenance de cette compagnie. Il est donc présent en 1930 sur l'aéroport de Saint Paul (il y travaille) et étant mécanicien a accès aux avions. Il est donc fort probable qu'il soit notre homme...
Inscriptions sur la peinture
Une bande verte est peinte sur le haut de la tôle interne côté droit de l'appareil. Elle correspond, après recherche, à la couleur des dessus des voisins de bombardement de nuit. Il y a aussi les traces d'un marquage individuel sur la tôle interne.
Du texte gravé dans le capot moteur avant.
Il est intéressant de noter sa date: 27 août 1930 soit 5 jours avant "l'exploit".
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Milos Gazdic du site airwarfareforum nous a donné une traduction de ce texte ! Ce message écrit en ancien serbe dit: "Serbes, le mécanicien Sava Simic, qui a travaillé sur ce moteur vous souhaite un bon voyage, 27 août 1930"
Des noms gravés dans les capots moteur latéraux.
Messages papiers
Durant la traversée, les deux aviateurs communiquaient par des billets qu'ils s'échangeaient. Certains ont été publiés dans les journaux ou les livres. Nous en avons découverts 3 dans le plan fixe de l'avion. Remarquez sur le verso du troisième billet le papier à en tête Louis Breguet.
Photos d'époque
Photoscope
Quelques photos d'époque du "Point d'interrogation" et de son équipage.
Spécifications
Longueur : 10.71 m
Envergure : 18.30 m
Hauteur : 4.08 m
Surface : 59.94 m²
Masse : 6 375 kg
Moteur : Hispano-Suiza 650 hp
Vitesse : 247 km/h
Equipage : 2